18.07.2020 - 22.08.2020
DAAN GIELIS
DICK&VLE

EN

Gentil mensonge

In Happy Sad (Neon, 2019) Daan Gielis uses his own experiences as a starting point, underlining the cyclical movement between joy and sadness, the concurrence of love and suffering, that pendular back-and-forth that forms the pattern of our lives.
According to the German philosopher Schopenhauer, suffering is the basis of human existence. This pain of being results from our insatiable need for satisfaction. Indeed, once one desire is satisfied, another appears. Plato said that we only love what we desire, and we desire that which we lack. Therefore, If we were to consider that a form of absence makes us suffer, we would end up with the following equation: love = desire = absence = suffering.

If our suffering were to stop, it would be because there was no longer any absence. If there’s no absence, it’s because there’s no desire. And if there’s no desire, it’s because there is no love. What’s left then is boredom. Boredom because I no longer desire. Boredom is the absence of happiness in lieu of its expected presence. So here we are, swinging between a double threat: pain or ennui.

In 1963, the Worcester Mutual Insurance Company launched a campaign designed by graphic designer Harvey Ross Ball in order to boost staff morale. It featured the now well-known yellow “smiley” and was intended to remind employees to smile themselves. Sad, but happy.
The polymorphous and loquacious collective formed by Melissa Pena and Simon Médard, Dick&VLE, has turned these words upside-down in their installation (mixed media, 2020). Shapes and colours come to the forefront of this work created for CCINQ, yet a few words invite us to partake in an act of reading: “TRISTE MAIS JOYEUX” (SAD BUT HAPPY). The “but” asserts a restriction, an objection, an explanation or perhaps even the will to exceed what was just said. I’m sad but I’m happy! This is sad but this is happy!

During the 1980s, the smiley face became an emblem of acid house, a subgenre of the Chicago house music that originated in the city’s areas suffering from the industrial crisis. An overflowing joy in response to anguish.

In his documentary Everybody in the place, Jeremy Deller demonstrates that house culture — with its beats, noises (similar to machines), jolting dance steps, and raves in abandoned factories (where the dancers had previously been employed) — aimed to not only radically break away from the prevailing conservatism and regulations, but was also a joyful dance upon the ruins of the industrial revolution. It was a time and place for partying but also a political environment for a generation facing an uncertain future.

Today, smile emojis (whether actually smiling or frowning) are everywhere: in our emails, on social media or in our texts. They help us to minimize room for interpretation of a curt message, to indicate an emotion or an intention. They allow us to emphasize our state of mind, or inversely to not explain it at all. They bring the tone to our voices in written speech.

A study published in the scholarly journal Computers in Human Behaviour saw researchers from Edge Hill University posit that a sad smiley might mean its user thinks it more important to express one's feelings than to be judged. Should we deduce that the people who have a constant virtual smile on their face are simply well-meaning liars?

Our love and our suffering seem united in a logical — yet sometimes surprising and still mysterious — equation. As we walk the paths of this “gloomy wood”, art could be (according to Schopenhauer, again) a comforting companion, able to stop the swinging pendulum. When faced with cyclothymic chaos, it seems justified to ask oneself what’s better: to laugh or cry?


Patrick Carpentier

FR

Gentil mensonge

Prenant comme point de départ ses propres expériences, Daan Gielis souligne avec Happy Sad (Néon, 2019) le mouvement cyclique de nos joies et de nos tristesses, la co-présence d’amour et de souffrance, ses allés et retours pendulesques auquel nos vies sont restreintes.
Selon le penseur allemand Schopenhauer, la souffrance est le fond de l’existence humaine. Cette souffrance d’exister provient du fait que l’homme est sans cesse déçu de ses satisfactions. Car dès qu’un désir est satisfait, il en vient un autre.
Platon disait que nous n’aimons que ce que nous désirons et que nous désirons que ce qui nous manque. Si l’on ajoute que le manque nous fait souffrir nous arrivons à une équation que l’on pourrait résumer de cette manière : amour = désir = manque = souffrance

Et si il advient qu'il n’y a plus de souffrance, c’est qu’il n’y a plus de manque. Et si il n’y a plus de manque, c’est qu'il n’y a plus de désir. Et s’il n’y a plus de désir c’est qu’il n’y a plus d’amour.
Il reste donc l’ennui. Car il y a ennui parce que j’ai ce que je ne désir plus.
L’ennui c’est l‘absence de bonheur au lieu de sa présence attendue.
Nous voilà balancé entre cette double menace : l’ennui ou la souffrance.
En 1963 dans une campagne afin de re-motiver les employés de la Worcester Mutual Insurance Company, le graphiste Harvey Ross Ball, créa le smiley qui devait rappeler de sourire à des employés démoralisés. Triste mais joyeux.
Voilà la phrase retournée que l’on peut lire dans l’installation (technique mixtes, 2020) du collectif polymorphe et prolixe, Dick&VLE, Melissa Pena Espartero et Simon Médard. Des formes et couleurs qu’ils mettent au premier plan de ce travail, créé spécialement pour le CCINQ, quelques mots nous obligent à un acte de lecture : « TRISTE MAIS JOYEUX ».
Ici, ce « mais », impose une restriction, une objection, une explication, ou bien la volonté de marquer un enchérissement sur ce qui vient d'être dit. Je suis triste mais je suis joyeux ! Ceci est triste mais ceci est joyeux !

C’est dans le courant des années 80, que le smiley est devenu l’emblème de la culture acid-house, musique venant de la house de Chicago, un courant développé dans des zones atteintes par une forte crise industrielle. Une joie débordante en réponse à une angoisse.
Comme le démontre Jeremy Deller dans son documentaire, Everybody in the place, la culture house dans ses rythmes, ses sons (similaire à des machines) ses mouvements de danse saccadés, ses raves (dans d’anciennes usines désaffectées où les ouvriers travaillaient) montraient la volonté d’un détachement radical du formalisme et du conformisme ambiant, mais aussi d’une danse joyeuse sur les ruines de la révolution industrielle. Cet espace était autant un espace de fête qu’un environnement politique face à un futur incertain.

Aujourd’hui, l’emoji – content ou pas content – est de tout nos email, sur les réseaux sociaux ou dans nos sms. Ils font partie de notre langage écrit. Ils nous aident à réduire l'ambiguïté d’un message bref et à indiquer une émotion ou une intention. Ils nous permettent de souligner ou à l’inverse de ne pas devoir expliquer notre état. Ils sont le ton de la voix à l’écrit.
Dans une étude publiée dans la revue Computers in Human Behaviour, les chercheurs de l'université d'Edge Hill, ont démontré qu’un smiley triste pourrait indiquer que son utilisateur estime qu'il est plus important d'exprimer ses sentiments que d'être jugé. Pourrait-on en déduire que ceux qui sourient virtuellement tout le temps sont de gentils menteurs ?

Nos amour et nos souffrances semblent unies dans une équation logique, mais tantôt surprenante ou encore mystérieuse. Sur le chemin de cette forêt profonde, l’art pourrait-être, selon Schopenhauer encore, une vertu consolatrice capable d’arrêter ce pendule.
Alors face à ce chaos cyclothymique il serait justifié de se demander s’il vaut mieux en rire ou en pleurer :-)




Patrick Carpentier